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ACH-IDF : les harkis d'Ile de France

Abderamen MOUMEN : "Le camp de Rivesaltes peut être un formidable outil pédagogique"

15 Octobre 2015 , Rédigé par ACH-Ile de France

Abderahmen MOUMEN :

"Le camp de Rivesaltes peut être un formidable outil pédagogique"

 

A la veille de l'inauguration du Mémorial de Rivesaltes par le Premier ministre Manuel VALLS, l'historien Abderahmen MOUMEN répond, dans le cadre d'un entretien accordé à l'Association culturelle des harkis d'Ile-de-France, aux intérrogations et questionnements que pourraient encore susciter le projet de Mémorial du camp de Rivesaltes. Demain, le Mémorial ne sera plus un projet, mais une réalité achevée au service de la Mémoire de ceux qui ont transité ou été détenus dans ce lieu symbolique de la politique des camps établie en France tout au long du XXème siècle.

Avec un autre historien, Nicolas LEBOURG, Abderahmen MOUMEN vient de publier aux éditions Trabucaire  "Rivesaltes Le camp de la France 1939 à nos jours" accompagné d'une très belle préface du grand universitaire Phillipe JOUTARD.

ACH-IDF : Monsieur MOUMEN, vous êtes historien et vous venez de publier avec Nicolas LEBOURG le livre "Rivesaltes, le camp de la France de 1939 à nos jours" aux éditions Trabucaire. Comment est venu ce projet d'écrire un tel livre ?

Abderahmen MOUMEN : Avec Nicolas Lebourg, nous avons travaillé sur cette question après notre doctorat tout simplement parce que quand, dans la fin des années 1990, la décision est prise de créer un mémorial à Rivesaltes, il n’y a pas encore eu de recherche sur l’histoire à long terme de ce camp, hormis le travail universitaire d’Anne Boitel sur les années 1941-1942, et qui donne lieu à un ouvrage. L’histoire du camp de Rivesaltes de 1939 à 2007 est ainsi pratiquement inconnue, ce qui empêche légitimement d’ouvrir un mémorial sur ce camp. Dans le cadre de nos travaux de recherche pour le mémorial que l’on a poursuivi après la fin de notre mission, et ayant soutenu pour ma part une thèse sur les rapatriés d’Algérie, je me suis intéressé à la période du camp de Rivesaltes durant la guerre d’Algérie, tandis que Nicolas Lebourg, spécialisé des extrêmes-droites en Europe, s’est occupé des périodes relatives à la Seconde Guerre mondiale et après 1965 jusqu’au Centre de rétention administrative. Nous avons ainsi dépouillé une masse importante d’archives relatives à l’histoire du camp, et rencontré de nombreux témoins de cette histoire.

 

ACH-IDF : Votre livre traite du drame des harkis. Mais peut-on dire que c'est un livre sur le drame des harkis au camp de Rivesaltes ?

Abderahmen MOUMEN : Notre ouvrage traite bien entendu de la période durant laquelle les anciens supplétifs et leurs familles ont transité par le camp, une période qui s’étend du 12 septembre 1962 au 31 décembre 1964, une période où les conditions de vie sont dramatiques. La presse fut d’ailleurs interdite d’accès au camp jusqu’en mars 1963 pour éviter une médiatisation de la situation sanitaire. Mais, ce n’est pas seulement un ouvrage sur les harkis au camp de Rivesaltes. Le camp de Rivesaltes, ce que détaille notre ouvrage, permet d’aller de la Retirada de 1939 aux Centres de rétention administrative. D’autres camps servent sur le territoire français pendant la Seconde Guerre mondiale et pour les harkis. Mais à Rivesaltes, cela a pris une autre dimension : on y trouve les républicains espagnols, puis les juifs, les Gitans, les prisonniers de guerres allemands et les collaborateurs, puis des membres du FLN, suivis des harkis, puis des Indochinois et des Guinéens, et enfin un Centre de rétention administrative qui finit par fermer en 2007 parce que le mémorial doit venir s’installer. Nous sommes donc en présence d’une histoire qui nous permet de partir des crises des années 1930 et de suivre toutes les crises et les crispations françaises sur ce rapport à l’autre, à l’étranger, au réfugié, au migrant pendant 70 ans. C’est véritablement un lieu unique en France.

ACH-IDF : Travailler et écrire sur l'histoire de ce camp de Rivesaltes a été une tâche facile ?
 

Abderahmen MOUMEN : Cela fut plutôt une tâche fastidieuse car tout était à faire, et les archives relatives au camp dispersées sur de nombreux sites. D’autant plus que sur la période concernant la guerre d’Algérie, la présence d’Algériens/Français musulmans – c’est selon – est attestée, et révèle finalement une histoire sur le temps long liant le camp de Rivesaltes à l’Algérie, dans un cadre colonial. L’étude des populations dites « nord-africaines » - pour reprendre les termes administratifs de l’époque - témoigne des constantes, des continuités, des pratiques administratives, des représentations qui se poursuivent à travers le temps sur une même population mais dont les statuts diffèrent pourtant : du militaire au travailleur nord-africain, du prisonnier nationaliste aux harkis. Même lieu, même origine, différents statuts mais même conception d’une « mentalité musulmane » conceptualisée, considérée comme immuable et dont « l’évolution » ne serait facilitée que par un encadrement disciplinaire. Le camp de Rivesaltes sous ses diverses formes (centre professionnel de formation accélérée pour les Nord-africains à partir du début des années 1950, centre militaire de formation professionnelle pour les militaires dits « Français de Souche Nord-Africaine » entre 1958 et 1962, centre pénitentiaire pour les nationalistes algériens (premier semestre 1962) et camp de transit et de reclassement pour les familles d’anciens supplétifs dits « harkis » jusqu’en 1964, voire jusqu’à la fin des années 1970 avec le hameau forestier pour les harkis, déplacé ensuite à la Cité du Réart) constitue ainsi un miroir des représentations du « Nord-africain ».

 

ACH-IDF : Le mémorial de Rivesaltes va être inauguré le 16 octobre prochain par le Premier ministre. Après cette inauguration, qu'est ce qui pourra motiver un grand nombre de personnes de venir découvrir ce mémorial.

Abderahmen MOUMEN : Outre l’exposition permanente, dont il faudra attendre l’inauguration pour la découvrir et juger de sa qualité, il me semble que c’est sur les enjeux pédagogiques que ce mémorial pourra attirer et devenir un lieu de référence. Le camp de Rivesaltes peut être un formidable outil pédagogique sur des questions qui taraude le monde de l’éducation : comment enseigner la guerre d’Algérie ? ; quel traitement des migrations ? ; les représentations de l’étranger ou de ceux perçus comme étrangers ; les questions lexicologiques avec cette difficulté des administrations à nommer les différentes populations, plus particulièrement pour les juifs, Gitans et harkis.

 

ACH-IDF : Enfin, pour revenir sur l'histoire des harkis, un livre écrit par le journaliste Pierre DAUM fait polémique. En tant qu’historien, que pensez-vous de ce livre ?

Abderahmen MOUMEN : L’ouvrage de Pierre Daum part d’une intention louable : montrer le devenir des familles de harkis restées en Algérie après l’indépendance. Le journaliste apporte, même si les témoignages sont assez inégaux, une soixantaine de récits, qui peuvent permettre de fournir des pistes de recherches sur ce sujet, et montrer que l’on peut aussi travailler sur ce sujet en Algérie, même si les difficultés existent ne le nions pas. Néanmoins, certaines de ses conclusions –pour un travail qui n’est pas universitaire rappelons-le - sont trop hâtives et manquent me semble-t-il de discernement. Je ne dirai que quelques mots sur un sujet qui mériterait plus de temps. Que les situations vécues par les harkis, et leurs familles, après l’indépendance de l’Algérie soient diverses, personne ne le nie. Depuis environ une décennie, il est clairement mentionné dans de nombreux travaux universitaires que la majorité de ceux qui ont été supplétifs sont restés en Algérie. Néanmoins, en conclure ou supposer, avec seulement une soixantaine de témoignages, que des massacres n’ont pas eu lieu relève finalement d’une méconnaissance, et des travaux universitaires sur la question, et des diverses sources sur cette période. Ceci doit nous amener à constater l’énorme chantier à mener pour mieux saisir l’ampleur des violences (emprisonnement, internement, marginalisation, assassinats et massacres) et des processus de (ré)insertion dans l’Algérie indépendante (réconciliation, solidarités villageoises…) en fonction des régions et des villages. Les réalités sont ainsi totalement différentes d’une région à l’autre. C’est une question encore sensible mais qui doit être débattue et traiter scientifiquement avec honnêteté et sérénité, sans dérives idéologiques ou mémorielles de part et d’autre.

ACH-IDF : Dernière question, quels sont les mots que vous mobiliseriez pour convaincre les familles de harkis de se rendre au Mémorial de Rivesaltes durant les mois qui suivront son inauguration par le Premier ministre ?

Abderahmen MOUMEN : Pour convaincre, je convoquerai les mots de Philippe Joutard,,spécialiste des rapports entre histoire et mémoire, et préfacier de notre ouvrage : « Écrire l’histoire du camp de Rivesaltes, ce n’est pas faire de l’histoire locale, ni même apporter une contribution à un sujet déjà bien documenté, la Shoah en France, ou beaucoup plus en construction, les Harkis. C’est un prisme à travers lequel apparaît l’histoire tourmentée de la France depuis plus de sept décennies ». Ce camp qui a vu passer près de 22.000 anciens harkis, épouses et enfants fait partie de cette histoire tourmentée de la France, une histoire collective et partagée.

Propos recueillis par Kader TAMAZOUNT

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 "Rivesaltes Le camp de la France 1939 à nos jours"

par Abderahmen MOUMEN et Nicolas LEBOURG

Editions Trabucaire - 15 euros

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